Les hameaux de forestage, l’exemple de Villemagne (Gard)
Sources des Archives de France
Les Archives de France mettent à disposition des ressources historiques accessibles à tous ceux qui le souhaitent.
Vous trouverez des documents répertoriés à la suite de l’arrivée en France de plusieurs milliers d’anciens supplétifs et de leurs familles après la guerre d’Algérie.
La Commission propose ici des documents sur le regroupement des familles dans le hameau minier de Villemagne situé dans le Gard.
Les hameaux de forestage, l'exemple de Villemagne (Gard)
L’arrivée en France de plusieurs milliers d’anciens supplétifs et de leurs familles soulève le problème de leur reclassement, ou plutôt, pour employer le vocabulaire de l’époque, de leur « recasement ». Après leur passage par les camps de transit, le projet d’un regroupement des familles les plus nombreuses dans des hameaux de forestage aménagés dans des villages abandonnés ou des régions dépeuplées pour employer les chefs de famille à des travaux forestiers par l'Office national des forêts emporte l’adhésion des pouvoirs publics, qui y voient l’occasion de revivifier des territoires en déshérence et, sur le pourtour méditerranéen, de lutter contre les incendies, particulièrement nombreux lors de l’été 1962. En outre, l’indépendance de l’Algérie n’ayant pas apaisé les tensions, la crainte d’un recrutement des Harkis par l’OAS et de représailles par des sympathisants du FLN reste très présente : le regroupement d’un nombre peu élevé de familles (de 25 à 30 en moyenne) dans ces hameaux permettrait d’assurer leur sécurité ainsi que leur suivi sanitaire et social.
Le hameau de forestage de Villemagne :
Dans le Gard, des familles venues du camp du Larzac sont installées dans l’ancien hameau minier de Villemagne, situé dans un vallon isolé à près de 1 000 mètres d’altitude sur la commune de Saint-Sauveur-Camprieu, pour travailler au reboisement du massif de l’Aigoual et à la construction de routes forestières. Comme les autres hameaux de forestage, Villemagne est dirigé par un militaire, un adjudant-chef [illustration 1], et une « monitrice de promotion sociale », dont l’arrivée, prévue en novembre 1962 [illustration 2], semble avérée deux mois après [illustration 3]. Les logements appartiennent à la Société minière et métallurgique de Peñarroya, concessionnaire de la mine de Villemagne fermée depuis 1933, et sont rénovés sous la conduite d’entreprises spécialisées par 12 Harkis célibataires déjà sur place et encadrés par du personnel technique avant l’arrivée de 45 travailleurs, annoncée pour le 15 novembre 1962 [illustration 1].
Les conditions de vie sont difficiles :
En janvier 1963, 271 personnes (hommes, femmes, enfants) puis 313 en avril sont hébergées à Villemagne, sans compter les encadrements militaire et technique, qui ont été renforcés [illustration 4].
Le climat est rude (froid, neige), l’eau d’abord impropre à la consommation et certains logements dépourvus d’eau et d’électricité [illustrations 3 et 4]. Elles s’améliorent au cours de l’année : le hameau, qui reçoit la visite officielle du sous-préfet, du directeur de la santé et du commandant des sapeurs-pompiers, est en passe d’être électrifié, l’ouverture de deux classes en préfabriqué s’accompagne de la nomination d’un instituteur et de la scolarisation de 30 nouveaux élèves ; le dépistage de la tuberculose est effectué par les Assurances agricoles du Gard [illustration 5].
Organisation du travail :
Les chefs de famille vivant dans le même hameau de forestage sont généralement répartis en groupes, divisés en une ou plusieurs sections de 25 travailleurs chacune. L’unique groupe de Villemagne est constitué de trois sections [illustration 6], comportant respectivement 21, 17 et 18 travailleurs en décembre 1963, aidés de chauffeurs poids-lourds également recrutés dans la population harkie, et encadrés par des forestiers (chefs et sous-chefs de district) [illustration 7]. Ce nombre a fluctué tout au long de l’année : les 54 travailleurs de janvier ne sont plus que 49 en mars, des ouvriers et le chauffeur ayant quitté le hameau [illustration 4].
Les sections de Villemagne sont principalement employées à des travaux dans les forêts domaniales, dont le programme prévisionnel, assorti d’une carte, est établi en mars 1963 pour les 10 ans à venir [illustrations 8 à 11]. Fin 1962, elles délimitent un terrain et défrichent une piste entre Saint-Sauveur-des-Pourcils et Puechagut (Bréau-Mars), distants d’une trentaine de kilomètres du hameau [illustration 6] ; le mois de mars suivant est consacré au reboisement de la forêt de Lanuéjols, située à une dizaine de kilomètres, et à l’ouverture de pistes [illustration 4].
Acquisition du matériel et entretien du hameau :
L’acquisition du matériel nécessaire, tel que compresseur, concasseur, tronçonneuse, véhicules etc. [illustration 7], a été soumise au début de l’année 1963 par la Conservation de Nîmes à la Direction générale des Forêts [illustration 12] qui n’approuve pas entièrement cette proposition et refuse par exemple l’achat de l’« abri en tôle privé » [illustrations 13, 14 et 8].
L’entretien du hameau est le deuxième type de chantier dont la section de Villemagne a la charge : en mars 1963, elle en assure le nettoiement et installe des appareils de chauffage et de la literie dans la partie des logements encore à aménager [illustration 4]. Un état des travaux réalisés, dressé par la Conservation de Nîmes, est envoyé mensuellement à la Direction générale des Eaux et Forêts [illustrations 15 et 16].
Conditions de travail :
En novembre 1962, les salaires horaires bruts sont fixés à 2,25 francs [3,69 euros] pour les chauffeurs et 1,875 francs [3,07 euros] pour les manœuvres [illustration 2], assortis en janvier suivant de primes de spécialité pour les chauffeurs, chefs d’équipe, maçons etc. et de rendement journalier pour certains des manœuvres [illustration 3] ; en avril de la même année, ils n’ont pas augmenté [illustration 5] après l’établissement d’un devis des dépenses pour l’emploi des Harkis dans le Gard, l’Hérault et la Lozère (salaires, autres, outillage, matériaux etc.) pour 1963 [illustration 17], demandé par la Direction générale des Eaux et Forêts en novembre 1962 [illustration 18].
Les journées chômées à cause des conditions climatiques sont indemnisées, mais le mauvais temps peut entraîner des refus collectifs de travailler [illustration 3]. Les chantiers, déplacés en basse altitude en période de froid et de neige [illustration 3], sont dangereux : en avril 1963, sont notés des accidents du travail dans l’état des travaux exécutés par le groupe de Villemagne [illustration 4].
Et depuis, que sont devenus les hameaux de forestage :
Environ 75 hameaux de forestage, ouverts à partir de 1962 en majeure partie dans la région Provence-Alpes-Côte-d’Azur, étaient considérés comme des structures d’accueil temporaires et devaient théoriquement fermer à la fin des travaux ; certains perdurent néanmoins jusqu’à la fin des années 1990.
Villemagne a aujourd’hui disparu : seules des tombes musulmanes dans le cimetière du hameau voisin de Saint-Sauveur-des-Pourcils (Saint-Sauveur-Camprieu) et une stèle inaugurée en 2016 en hommage « au parcours et à l'œuvre accomplie dans les hameaux de forestage par les anciens soldats harkis et aux familles qui y ont vécu » témoignent de son existence. Depuis la loi du 23 février 2022, ceux qui y ont vécu entre le 20 mars 1962 et le 31 décembre 1975 peuvent obtenir réparation des préjudices résultant de l'indignité de leurs conditions d'accueil et de vie.