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Découvrez le témoignage de monsieur Rabah BOUHOUDI, « fils de Harki, fier de l'être »

Témoignage de monsieur Rabah BOUHOUDI.

« Lors de notre arrivée en métropole, sommes passés du 13 juin au 1er octobre 1962 par le camp de La Cavalerie en Aveyron puis avons été « parqués » au camp de Rivesaltes dans les Pyrénées Orientales du 1 octobre 1962 au 3 janvier 1965 pour le quitter à destination de Cognac car celui-ci devait fermer.

Ma famille et moi-même, soit 10 personnes, avons donc été dirigés vers une nouvelle destination qui s'est avérée être la prison désaffectée de Cognac en Charente située au 31 rue Bellefond.

Quel changement pour notre famille qui passait d'un camp insalubre entouré de barbelés à une prison où la lumière avait du mal à pénétrer, nous étions cernés de murs et logés dans les cellules avec 4 autres familles de Harkis qui furent : Rabaï, Allaoia, Mereni, Belaoute. En outre, nous étions sous la surveillance d'un concierge.

Ces locaux que nous chauffions avec une vieille cuisinière à charbon étaient totalement insalubres, l'ameublement était sommaire. Les conditions de vie étaient très dures, aucune isolation, l'humidité coulait le long des murs. J'avais, ainsi que les plus jeunes de mes frères et sœurs du mal à fermer les énormes portes en bois.

Ces conditions de vie faisaient que nous étions tous plongés dans un état psychologique très critique, la peur, le froid, cette mise à l'écart y contribuait grandement. Beaucoup de pleurs chez ma maman et d'autres membres de notre famille, beaucoup de chagrin, beaucoup d'amertume et d'incompréhension aussi...

La peur de sortir, la honte vis-à-vis de mes nouveaux camarades de classe car j'habitais dans une prison.

Je me suis ainsi retrouvé en classe de C.P alors que j'avais un peu plus de 9 ans, j'aurai dû être en C.M.2 ? Que de reconnaissance la France avait envers nous...

Mon père se démenant, à force de travail acharné, a réussi à acheter un terrain avec une petite maison qu'il agrandira par la suite. C'est ainsi que nous avons pu quitter cette maudite prison le 27 août 1966, après 599 jours qui nous parurent une éternité.

Que retirer de ce calvaire que moi-même et ma famille avons vécu ainsi que la plupart des Harkis logés à la même enseigne. Certains s'en sont sortis et d'autres ont sombré dans le désespoir.

J'ai, pour ma part, semble-t-il réussi ma vie familiale et professionnelle. Marié, père de deux filles et grand père. Militaire pendant 15 ans et ensuite fonctionnaire dans la Police Nationale, j'ai servi mon pays tout au long de ma vie d'adulte. Il s'avère qu'après 60 ans, certains veuillent nous « dédommager » pour ces traitements indignes qui nous ont été infligés. Ce n'est que Justice bien qu'il y aurait beaucoup à dire sur la hauteur de cette « indemnisation » Plus ou moins 100 euros par mois d'enfermement, 10 fois moins que le SMIG, la vie d'un Harki ou de ses enfants à peu de prix me semble-t-il.

Pour ce qui est de notre relégation dans les camps ; certain diront qu'à une certaine époque d'autres populations y ont été enfermées oui, c'est exact, mais, il y a une différence énorme entre celles-ci et les familles de Harkis.

En effet, en étudiant ces mouvements de populations parquées dans ce camp dans des conditions affreuses pour la plupart, j'ai constaté ce qui suit : pour ce qui concerne les Espagnols quittant leur pays, le gouvernement de l'époque s'est appuyé sur un décret-loi instituant l'internement administratif pour les « ETRANGERS INDESIRABLES » alors qu'ils fuyaient leur pays.

Puis, pour les Juifs, les Tsiganes, ce fut une décision politique de la logique d'exclusion du gouvernement collaborationniste du régime de Vichy. Là, ils avaient trouvé un refuge en France. Ensuite, pour ce qui concerne les militaires Allemands puis les combattants du FLN, ils étaient internés comme le sont tous les prisonniers de guerre.

Bien sur ces mesures, pour ce qui concerne les Espagnols, les Juifs et les Tsiganes sont totalement injustes mais, elles ont été légitimées par les gouvernements de l'époque ; par un décret-loi arbitraire d'abord puis par une décision politique raciste et xénophobe de l'état Français.
Par ailleurs, j'ai donc cherché et remarqué que pour les Harkis et leurs familles, il ni avait rien de tel pour légitimer, si je puis dire, cet enfermement.

L'État Français de l'époque avec à sa tête Charles de Gaulle, ne s'appuyait sur aucune loi, aucun décret, aucune décision politique concrète, pourquoi? Cette mise à l'écart de populations Françaises était totalement injustifiée voire illégale. De nombreux déplacements effectués de nuit en camion bâché ?

POURQUOI agir de la sorte : parce que cela montrait l'incapacité qu'avait eu ce gouvernement à assurer la sécurité de ses propres soldats et de leurs familles. Parqués dans 6 camps de transits puis éparpillés dans les hameaux de forestages et quelques prisons désaffectées comme celle de Cognac où j'ai séjourné avec ma famille. Il fallait à tout prix éviter de nous montrer, de montrer le sort réservé aux supplétifs comme nous étions nommés.

Sachant qu'à l'époque l'armée avait encore d'énormes moyens. La mise en place de tentes avec des poêles et des couchages corrects était possible ainsi que l'installation de douches de campagne avec eau chaude et ainsi de suite...

J'ai le souvenir de ma première nuit au camp de Rivesaltes, entassées dans ces tentes sans chauffage avec la nuit venue pour seuls lits quelques bottes de paille. C'était donc cela la France pour laquelle mon père s'était battu du 15 septembre 1957 à son désarmement et réintégration de son paquetage le 7 mai 1962.

En outre le pays, étant dans les trente glorieuses, avait les moyens financiers pour venir en aide matériellement à ces déracinés. La réquisition de centres de vacances, d'hôtels ou le logement dans certaines casernes françaises aurait été possible mais, il y avait une volonté politique farouche de minimiser ce problème et surtout de le taire, la honte peut être taraudait telle nos dirigeants ou alors et surtout le mépris pour notre communauté qu'ils —nos dirigeants- auraient bien voulu ne pas voir venir en métropole. Après la signature des dits accords jamais respectés par nos ex-ennemis, notre gouvernement souhaitait que nous restions sur notre terre natale quel que soit le sort qui nous aurait été réservé, voir les télégrammes « Joxe » et « Messmer ».

Bien sûr, cette politique d'abandon et de relégation dans les camps de ne pouvait être menée à bien qu'en agissant ainsi. Il n'était absolument rien reproché aux Harkis si ce n'est d'avoir cru en la parole donnée par le chef de l'État d'alors.

Que dire de notre traitement indigne de la part des gouvernements successifs. Une honte pour ce pays qui se glorifie d'être le pays des droits de l'homme et du citoyen. Il a manqué à tous ses devoirs vis-à-vis de ces soldats qui avaient eu le tort de croire en la parole donnée, qui plus est, de la part d'un militaire, général de surcroit.

Rien ne pourra jamais compenser cette période de ma vie passée dans les camps et ensuite à l'intérieur de cette prison, 57 mois soit 1534 jours ; POURQUOI, POURQUOI, qu'avais-je donc fait pour mériter ce traitement, qu'avait donc fait ma famille, qu'avait donc fait mon père, qu'avaient donc faits les Harkis pour être traités en parias de la société Française. Ils avaient simplement refusé de se faire massacrer et rejoint un pays qu'ils croyaient être le leur. C'était bien leur pays mais, celui-ci ne voulait pas d'eux et ils allaient payer cher le choix qu'ils avaient fait en devenant soldats de France.

Aucune haine en moi, puisque j'ai donné une partie de ma vie à mon pays « La France » mais beaucoup de dépit et de tristesse, car, à l'évidence, nous aurions pu être accueillis décemment, tout simplement, comme des êtres humains. Nous n’en serions pas là, 60 ans après à remplir des dossiers pour obtenir ce qui nous est dû depuis des décennies. Sachez que nous ne faisons pas l'aumône « mesdames messieurs les décideurs »

Gloire aux Harkis et à nos mamans qui se sont dévouées pour que nous puissions nous en sortir.

Bouhoudi Rabah, fils de Harki, fier de l'être. »