Découvrez le témoignage de Djillali SAHLAOUI

Harki de 1ère génération, il témoigne ici de ses démons et de son incompréhension.

Il s'interroge sur son statut dans ce pays pour lequel il s'est battu et qui n'a pas su les accueillir dignement, sa famille et lui.

Prêtez attention à son témoignage, il se livre avec franchise pour que vous n'oubliez pas !

Mesdames, Messieurs,

Je me permets de vous solliciter à la demande de mon papa Djillali SAHLAOUI, également en sa présence ne sachant pas écrire il souhaite néanmoins vous apporter son témoignage en tant que « Ancien Combattant et Victime de Guerre ».

Voici une partie de son histoire :

Moi Djillali avec mes 81 ans, je n'ai rien oublié ma mémoire reste très vive et très douloureuse « sur cette tragédie de la guerre d'Algérie » pour cause je revis ces traumatismes toutes les nuits avec des sueurs froides quand par chance j'arrive à dormir en prenant un, deux, trois somnifère (de Stilnox).

À peine 18 ans (1959) insouciant, beau et fort avec une rage de vivre, je suis enrôlé en tant que supplétifs de l'armée française, engagé dans une Algérie en pleine tourmente et ébullition pour servir le drapeau tricolore dans le maquis durant 4 ans et demi à combattre le FLN.

Dans les djebels Tazanount et Nador (Ténès), lors d'un accrochage avec le FLN où j'y ai laissé des compagnons d'armes, je reçois une balle dans ma jambe gauche, blessure physique qui ne se refermera jamais et blessure morale béante encore ouverte que je n'oublierais jamais jusqu'à mon dernier souffle.

« Au cessez-le-feu » de mars 1962 mon capitaine me demande de choisir entre le suivre en France en me promettant un travail et logement assuré et une grande reconnaissance de la France ou une mort atroce par des représailles du FLN envers moi, ma jeune épouse Mestoura 20 ans et notre fille Fatima d'à peine 1 an et envers ma famille proche.

Je fuis donc l'Algérie, avec mon épouse et ma fille effrayées, que je suis allé chercher chez mes parents terrifiés que je ne reverrai jamais sans avoir pu leur dire au revoir.

Je fuis précipitamment l'Algérie le pays qui m'a vu naître, le pays de mes parents, de mes ancêtres, mes racines, mon village, ma terre, ma ferme, mes arbres, mes oliviers, mes figues, mon puits, ma maison, mes chèvres, mon âne, une jeunesse, des odeurs, des souvenirs heureux et douloureux.

Je suis un harki, un traitre de la nation, voilà comment je suis reconnu et considéré en France et en Algérie. Mon cœur saigne toujours avec une mémoire meurtrie, des traumatismes, une blessure physique qui me rappelle chaque jour cette cruelle tragédie.

En débarquant en France sur le port de Marseille en 1962, j'embrasse cette terre qui m'accueille et qui me sauve moi et ma famille d'une mort atroce mais là je ne pensais pas que j'allais mener une autre guerre plus longue, plus silencieuse, plus psychologique, plus sournoise, traumatisante pour ma survie et celle de ma famille.

Nous étions considérés comme des « indigents », « des sauvages » parqués comme des animaux, dans des camps de fortune des baraques sans fenêtre, sans sanitaire, sans eau courants, nous y avons vécu en supportant la faim, la soif, le manque d'hygiène, l'isolement, la solitude, l'inquiétude de ne pas avoir des nouvelles de ma famille laissée en Algérie, le manque de repères la violence au quotidien, des vols, des cris, des pleurs, de l'angoisse, des peurs, des insultes, sans entrevoir un avenir.

Sans repères, désorienté, sans aide, abandonné, livré à nous-même dans ce pays inconnu, ne comprenant que le vocabulaire de guerre, sans connaitre la langue, l'écriture, les us et coutumes nous vivions au jour le jour avec une angoisse du lendemain.

Alors mon seul refuge, remède est l'alcool que j'ai découvert en France où je m'y noie pour oublier la guerre, la terreur, les armes, le sang, les morts, les amis, mes parents, mes frères, mes sœurs, une famille que j'ai dû abandonner, mes regrets, mon désespoir, la culpabilité, tout cela me consume chaque jour à petit feu que j'en deviens extrêmement violent envers la seule personne qui connaît mon histoire mon épouse évidemment je n'en suis pas fier, je déverse ma rage, ma colère, ma honte, ma vengeance, ma jalousie, sur elle. Ma femme reçoit mes coups pour soulager mes tortures intérieures, elle est mon bouc émissaire, je suis comme possédé. Elle a subi une double violence, le déracinement et les blessures morales et physiques.

Je suis alcoolique et violent envers mon épouse et moi-même ; je suis malade et sans remède pour me guérir. Aucun accompagnement psychologique pour trouver des mots à mes maux de cette maudite guerre d'Algérie qui m'a tout pris, même mon âme.

Avec volonté, courage et beaucoup d'humilité, j'accepte tous les petits boulots que je vais chercher dans différentes villes pour nourrir ma famille qui s'agrandit. Il fallait que je travaille, seul revenu pour subvenir à la famille, on comptait sur moi. En 1975, nous arrivons à dénicher une vieille maison humide en ruine qui nous permet enfin de nous stabiliser en Normandie où j'occupe un poste d'ouvrier en 3/8 à Bendix.

Je travaille la nuit et je fais des heures supplémentaires pour toucher un peu plus, pour payer des dettes, des factures des emprunts et pour nourrir et vêtir mes neuf enfants Léloucha, Sabira, Nadia, Karim, Aouda, Ahmed, Mohamed, Christine, Fatima et mon épouse Mestoura.

À l'usine, je ne pouvais pas cesser de travailler, mes collègues et je ne sais toujours pas pourquoi me surnommait « Pompidou ».

En surmontant, l'abandon des autorités françaises et l'ingratitude, le racisme, la désintégration, le regard des autres, le jugement, la méfiance, la cruauté, l'humiliation, l'hostilité, j'ai pu élever mes neuf enfants dans les valeurs de la république, l'honnêteté, la générosité, le partage, le sens du travail, du devoir, des efforts, le respect des lois et des principes de la dignité et de l'égalité.

Au nom de la réconciliation, le pardon, le devoir de la mémoire d'une jeunesse perdue, d'une génération sacrifiée vous ne pouvez et ne devez plus nous ignorer, nous oublier, nous rejeter. Moi Djillali, harki, ancien combattant, victime et blessé de guerre, supplétif de l'armée française, déraciné, étranger sur une terre d'adoption qui rejette son fils qui a tout perdu prématurément avec une violence inouïe.

Je suis maintenant malade, diabétique, me déplaçant difficilement seul dans cette vieille maison aussi ancienne que moi, avec mes démons qui me tourmentent, je ne suis pas en paix avec moi-même avec mon épouse, avec mes enfants ma famille que j'ai laissée dans un pays où je suis né qui me rejette et un pays qui m'a accueillie mais qui m'ignore, mon sacrifice envers cette nation ma femme, mes neuf enfants, mes 20 petits-enfants et mes 2 arrière-petits-enfants.

J'ai besoin d'entendre « ce pardon » cette reconnaissance, notre histoire des Harkis et enfin un dédommagement à la hauteur des préjudices moraux et physiques à mon encontre et celle de ma famille et de mes descendants. C'est notre devoir de tourner enfin ce chapitre, pour vivre ensemble en harmonie.

Je vous remercie de m'avoir permis de raconter cette douloureuse histoire, sachez que je n'ai pas de rancœur mais uniquement une grande tristesse et un grande vide et la peur de l'oubli.