Discours de Lucie Boudaud pour accompagner la projection de « Filles de harkis » 13/11/24 - CNIH
"Les femmes qui portent ce film sont ici. Dans cette assemblée.
Jeanne Etthari, Aline Carabetta, Yamina Chalabi, Aïcha Mokthari.
Je suis très consciente du matériau précieux et unique que vous m’avez confié : vos archives personnelles."
Lucie Boudaud
Discours de Lucie Boudaud, réalisatrice, pour accompagner la projection de son documentaire « Filles de harkis » le 13 novembre 2024 à l'auditorium Ségur pour la CNIH
Bonsoir,
Aujourd’hui encore, 62 ans après la fin de la guerre d’Algérie, le mot Harki reste un héritage complexe.
Un épisode traumatique de l'histoire de France.
Quelque chose ne passe pas. On entend toujours le silence gêné de l'histoire nationale.
Les Harkis, ce ne sont pas seulement les anciens supplétifs de l'armée française.
Harki, c'est un terme qui désigne aussi des familles entières.
Le film que vous allez voir ce soir n'est pas un documentaire d'histoire mais un récit de l'intime. La grande Histoire racontée par le vécu de témoins directs : les filles de soldats. C’est au travers de ce prisme, celui des femmes, que nous avons développé ce film avec mes producteurs Cyrille Perez et Dominique Monteiro chez 13 productions.
Ce film donne précisément la parole aux filles de ces soldats.
Elles étaient des fillettes à l'époque de la guerre, elles sont aujourd'hui des femmes qui portent la mémoire de leurs pères.
En réalisant ce film, j'ai rencontré des femmes formidables, des femmes fortes, des femmes courageuses.
Des femmes debout.
Des femmes qui ont tracé leur chemin de vie avec cette histoire encombrante, des femmes pour qui la vie n’a pas toujours été douce. Elles se sont battues contre le déterminisme, contre la différence, contre l'exclusion. Ce documentaire, il existe grâce à elles.
Elles ont accepté de confier le récit le plus intime de l'histoire de leur famille, et de leur histoire personnelle de femme.
Ce n'est pas rien.
Elles l'ont fait pour la mémoire de leurs pères, pour tous les Harkis, et enfin aussi j'espère un peu pour elles.
Les femmes qui portent ce film sont ici. Dans cette assemblée.
Jeanne Etthari, Aline Carabetta, Yamina Chalabi, Aïcha Mokthari.
Je suis très consciente du matériau précieux et unique que vous m’avez confié : vos archives personnelles.
Je vous invite à vous lever Mesdames. Il ne manque qu’Aïcha qui n’a pu faire le déplacement.
Merci pour vos récits, vos témoignages, vos partages, et votre confiance qui ont fait ‘le’ film.
Vous avez grandi à l’écart. À côté. Être harki, être enfant de harki c’est mener une vie à part.
Ce film répond je crois à cette question: qu'est-ce que c’est concrètement de vivre dans un monde séparé du monde dans des camps pendant des années ?
C'est une histoire d'abandon l'histoire des harkis.
La question centrale est celle de la place, quelle place trouver dans notre société, quelle place prendre, quelle place on veut bien nous donner.
Ces femmes ont joué un rôle déterminant dans l’équilibre de ces familles. Elles ont dû endosser plusieurs rôles, celui de grande sœur, de petite maman au sein des fratries, de traductrice et d'interprète auprès des pères qui comprenaient mal ou pas le français. Une bataille de plus face aux administrations, aux institutions.
Mais il a fallu aussi trouver sa place de femme.
Les filles sont les gardiennes de cette tragique histoire avec laquelle elles se sont toutes je crois réconciliées à leur manière.
Toutes portent la mémoire de leur père, et ne cessent de partager leur vécu pour leurs enfants et les prochaines générations. Leur témoignage doit circuler, il doit permettre comme aujourd’hui de faire savoir ce qui a véritablement été vécu « au cœur », par les familles.
Leur témoignage permet de réhabiliter la parole de ces hommes qui de leur vivant n'ont pu « dire ».
Pardonner, réparer, mais ne pas oublier, ne pas banaliser cette histoire. Jamais.
Je profite de cette occasion pour remercier pour leur travail et leur sensibilité mon équipe, à la composition de la musique, de l’image, du son et du montage, Eve-Marie Bodet, Delphine Cohen, Richard Montrobert et Benjamin Farley.
Merci.
Lucie Boudaud