Découvrez le témoignage de Kaci Bouchaïb sur les Harkis à Choisy-Le-Roi

Son livre "Un jeune Kabyle face aux horreurs de la guerre d'Algérie"

Livre de Kaci Bouchaïb "Un jeune Kabyle face aux horreurs de la guerre d'Algérie."
Livre de Kaci Bouchaïb "Un jeune Kabyle face aux horreurs de la guerre d'Algérie."

Les Harkis à Choisy-Le-Roi

Un témoin raconte :

Nous venons d’apprendre une bonne nouvelle : un certain nombre de survivants harkis de la région des Babors vivent autour de Choisy-le-Roi, département du Val-de-Marne (94) aujourd’hui.

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Nous sommes en février 1963, nous étions en Seine-Saint-Denis (93). Le milieu hostile qui gravitait autour de nous, des nationalistes algériens d’origine Kabyle connaissaient la guerre d’Algérie grâce aux informations diffusées sur les ondes radio ; la plupart d’entre eux sont venus en France dans les années 1930.

Un dimanche, nous avions décidé de nous rendre à Choisy-le-Roi sachant que nous avions beaucoup de difficultés pour circuler dans la ville de Paris ainsi que pour s’exprimer en français. Cependant, nous savions lire péniblement les noms des villes, ce qui ne suffisait pas, nous devions pouvoir être en mesure de pouvoir lire également les cartes routières, ce qui n'était pas le cas du tout.

Cette rencontre a eu lieu dans un café-bar à l’abri des regards autour de Choisy-le-Roi.

Mauvaise nouvelle ; ces rescapés du massacre restent sans domicile, pour des raisons de sécurité, ils ne dormaient jamais au même endroit. Ils passaient leurs nuits dans des tuyauteries en béton des travaux public situées sur le bord de la Seine où l'hiver les températures négatives pouvaient frôler les -20 degrés.

On se prépare pour un regroupement à Choisy-le-Roi, l’union fait la force, notre objectif était de se faire connaître par les autorités Françaises, nous voulions leur faire savoir que nous étions là.

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En France depuis seulement quelques mois, nous étions les grandes victimes de cette guerre d’Algérie.

Quelques semaines plus tard, nous voilà installés dans un immeuble HLM envahi par des rats, dont la construction avait été abandonnée probablement par le promoteur, un bâtiment sans portes et sans fenêtres. Nous devions trouver le moyen afin de barricader toutes les ouvertures par les contre-plaqués et autres.

Nous sommes en avril 1963, les nuits sont encore fraiches, difficile de boucher toutes les entrées d’air, mais pour un nombre d’Harkis l’endroit était confortable, bien meilleur que sous les ponts où ils ont passé l’hiver 1962/1963. La préfecture de la Seine était informée de notre regroupement au 4, rue Anatole France à Choisy-le-Roi.

Un début de calvaire commence pour les Harkis, la population Française était fortement opposée à notre installation en France. Les habitants de la rue Anatole France montraient bien des signes de rejet à notre égard. On se trouvait confrontés à une importante immigration algérienne inféodée au FLN.

La protection de la police n’a pas empêché des accrochages avec les compatriotes qui avaient participé au massacre en Algérie. Cependant nous avions pris l’initiative d’assurer notre défense par groupe de garde autour de l’immeuble.

Après ces retrouvailles à Choisy-le-Roi, pour ajouter à cette humiliation on obligea les Harkis à une démarche administrative auprès des Juges d'Instance pour une reconnaissance de nationalité française. Ce que l’on ne demandera pas aux rapatriés de type Européen.

Parlons un peu de cette installation ; celle-ci fut difficile. Ils subissaient à la fois l’exil de leur pays, des liens coupés et l’hostilité de la société française. Les liens furent coupés avec leur pays, il n’était pas prudent d’écrire à ses proches et de donner son adresse de résidence en France tant que les familles n'étaient pas arrivées en France.

3 - Un accueil glacial

Les anciens supplétifs de l’armée française étaient mal accueillis par le gouvernement et par la population. Les français comme leur Chef d’État de l’époque, Charles De Gaulle, acceptaient mal notre installation en Métropole. Nous savions que nous étions un peu "comme des clandestins" pas réellement les bienvenus en France.

D’ailleurs, je ne peux m’empêcher de penser au deuxième télégramme de Louis Joxe Ministre de l’État de l'époque. Voici le deuxième télégramme de Louis Joxe après le premier du 16 mai 1962 très menaçant envers les Commissaires de la République :
« Je vous renvoie au fur à mesure, à la documentation que je reçois au sujet des supplétifs, vous voudrez bien faire rechercher, tant dans l’armée que dans l’administration les promoteurs et les complices de ces entreprises de rapatriement et faire prendre des sanctions appropriées.
Les supplétifs débarqués en métropole en dehors du plan Général seront renvoyés en Algérie. »
Signé Louis Joxe.

La population française n’était pas prévenue de notre arrivée dont ils ne connaissaient pas l’histoire pas plus que « les évènements d’Algérie ». Les pouvoirs publics souhaitaient aussi ne pas envenimer certainement les relations avec le futur gouvernement algérien notamment concernant l’accueil des" Pieds Noirs" et les anciens supplétifs susceptibles de devenir des opposants potentiels à la politique de Charles De Gaulle.

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Pour conclure, le peuple français montrait des formes de racisme envers nous. J'ai encore en mémoire la violence de leurs mots. Ils ne faisaient aucune différence... Je peux en parler. J'ai vécu plus de douze années avec ce "racisme permanent" notamment sur mon lieu de travail de l'époque où j'exerçais au sein du groupe Renault situé à Flins-sur-Seine.

J’ai quitté cette entreprise en 1977 pour des raisons de discrimination persistante, sans regret, même aujourd’hui cinquante ans après, revenir sur ce sujet délicat à mes yeux me rend encore triste, nous n’avions pas été les bienvenus en France.

Kaci Bouchaïb